La période de Muromachi (1333-1573)

 

 

La guerre civile entre les cours du Nord et du Sud (1333-1392)

L'empereur GO DAIGO rêve d'un retour au passé et d'un rétablissement de l'autorité impériale aux dépens des HOJO, maîtres du shogunat de Kamakura. Après un complot éventé en 1324 et l'échec d'une première révolte armée en 1331, qui lui vaut un exil te
mporaire, il fomente un nouveau soulèvement victorieux. La classe des guerriers, déçue après les combats contre les deux tentatives d'invasion mongole de l'archipel japonais en 1274 et 1281, est en proie à l'agitation dans les cinquante années qui suivent. En outre, des petits guerriers rallient à eux des paysans mécontents, voire des hors-la-loi, et forment des bandes de "brigands" (akuto). Ensemble, ils pratiquent une forme de guérilla avant l'heure contre les troupes du shogunat et les grands propriétaires de domaines seigneuriaux. GO DAIGO recrute parmi eux des partisans. Ainsi, KUSUNOKI Masashige (1294-1336) chef akuto, fera figure d'archétype du samurai dévoué à l'empereur pour les générations futures, notamment sous l'effet de la propagande impériale et des régimes militaires nippons de la première partie du XXe siècle.

ASHIKAGA Takauji (1305-1358) est alors l'un des plus puissants seigneurs du Japon et, en particulier, du Kanto. Dans cette région de l'Est, où se situe Kamakura, les HOJO croient conserver leurs vassaux les plus fiables. À l'origine général des HOJO chargé de mater la rébellion, ce descendant d'une branche cadette des MINAMOTO, parmi lesquels furent choisis les premiers shoguns de Kamakura, décide pourtant de prendre le parti de GO DAIGO. Les HOJO, mis en difficulté par cette défection majeure, sont également encerclés à Kamakura par un autre de leurs généraux du Kanto
qui s'est aussi révolté contre eux. Ils se suicident en masse et leur défaite précipite la fin du régime de Kamakura.
La "restauration de l'ère Kemmu", éphémère tentative par GO DAIGO de rétablir l'autorité impériale, ne dure que de 1333 à 1336. ASHIKAGA Takauji se retourne rapidement contre GO DAIGO, se trouvant injustement récompensé de son ralliement à l'empereur. Il le chasse du pouvoir et le remplace par un autre prétendant. Takauji prend peu après le titre de shogun (1338), se prévalant de sa parenté avec les MINAMOTO.
Takauji crée ainsi un deuxième shogunat (ou bakufu) dit de Muromachi, d'après le nom du quartier de Kyoto où s'établit le siège du pouvoir shogunal. Pour une énième fois dans l'histoire du Japon, Takauji et ses héritiers vont commander au pays au détriment d'empereurs fantoches qu'ils ont mis sur le trône à Kyoto. Ceux-ci sont d'ailleurs affaiblis par un schisme qui divise la dynastie impériale en deux factions.

Les monarques de cette cour dite du Nord, soutenus par les ASHIKAGA, ne verront finalement leur légitimi
Ashikaga Takauji - Nihon no Eiyu Hyaku-nin, P.38té reconnue qu'au terme d'une longue guerre civile (nommée Nambokucho). Celle-ci partage en deux camps la classe des guerriers et s'accompagne de nombreuses destructions, y compris dans la capitale "nordiste". En face, GO DAIGO a été vaincu militairement par ASHIKAGA Takauji à la bataille de Minatogawa (1336), en partie pour n'avoir pas suivi les conseils du fidèle KUSUNOKI Masashige, qui se suicide après cet affrontement. Mais l'empereur défait se réfugie avec ses principaux soutiens dans les régions montagneuses et boisées de Yoshino, dans le Kinai, non loin de Nara. Lui et ses descendants y forment une cour du Sud et opposent une tenace résistance armée, avant de devoir s'incliner en 1392. À ce moment, les belligérants s'entendent pour voir régner le seul empereur GO KOMATSU de la cour du Nord, à la condition que soit rétablie la règle antérieure d'une alternance du pouvoir entre les deux factions. Mais l'accord n'est finalement pas respecté et la cour du Sud est définitivement supplantée par sa rivale.

Les hauts et les bas du shogunat de Muromachi (1392-1467)

Contrairemen
t à leurs prédécesseurs, les shoguns ASHIKAGA choisissent de gouverner depuis la capitale impériale de Kyoto, et non depuis l'Est excentré, à Kamakura. Malgré cela, ils ne parviendront jamais à contrôler le Japon aussi bien que les HOJO et leur action gouvernementale va, dès le départ, connaître de nombreuses faiblesses. Ainsi, l'instauration d'un vice-shogunat dans le Kanto approfondi les divisions entre la branche cadette à laquelle il est confié et la branche aînée des ASHIKAGA. Dans le même temps leurs plus importants vassaux se montrent indociles. Néanmoins, l'archipel est divisé en trois entités administratives regroupant Kyoto et les régions centrales, le Kanto et Kyushu, confiées à des gouverneurs généraux (kanrei) issus de grandes familles alliées des ASHIKAGA. Cependant, les gouverneurs militaires (shugo) à la tête des provinces s'émancipent de plus en plus par rapport au pouvoir du shogun. Ces shugo-daimyo (daimyo : "grand nom") s'assurent, à titre personnel, l'appui de ligues féodales de guerriers. Ils s'emploient également à contrôler les domaines fonciers de la vieille aristocratie de la cour de Kyoto, alors en pleine déliquescence, comme la maison impériale. Tandis que les grands monastères et sanctuaires religieux parviennent davantage à préserver leurs intérêts.
ASHIKAGA Yoshimitsu (1358-1408) devient le troisième shogun de Muromachi en 1367. Homme d'une certaine trempe, il met au pas plusieurs gouverneurs provinciaux révoltés et son "règne" voit la fin de la guerre civile. Comme les anciens empereurs retirés, il abdique en 1395 en faveur de son fils, Yoshimochi (1386-1428), et se fait moine tout en continuant à influencer fortement la vie politique du Japon. Yoshimitsu s'installe en 1397 dans la demeure de ses rêves, le Pavillon d'or (Kinkaku-ji) de Kitayama (aujourd'hui à Kyoto) . Les nobles de la cour impériale ne veulent toujours voir dans les guerriers que des rustauds ignares. Comme pour démentir cette analyse retardataire, Yoshimitsu cultive là son goût pour les lettres chinoises, l'étude érudite du Zen ou le théâtre Nô, alors à ses débuts. Dans ce petit paradis, à l'écart du monde, s'épanouissent ainsi les fondements d'une culture dite de Kitayama.

Depuis sa retraite, Yoshimitsu diligente aussi une reprise officielle (1401-1419) des relations commerciales avec la dynastie chinoise des Ming (1368-1644), avec envois d'ambassades. Mais ces échanges s'interrompent rapidement sous le shogun Yoshimochi, qui les fait capoter, en partie par haine de son père ou bien trop occupé à faire tuer son frère. Mais, surtout, ces activités vont être durablement mises à mal par les attaques des pirates japonais (waco) contre les côtes chinoises et coréennes. Le shogunat de Muromachi se révèlera incapable de les arrêter. Cependant, ses insuffisances profitent aux grands monastères et aux gouverneurs militaires provinciaux (shugo-daimyo) qui reprennent à leur compte le profitable commerce avec les Ming.

Les affaires des ASHIKAGA ne vont pas s'arranger avec le cordialement détesté Yoshinori (1394-1441), qui tente de renforcer son contrôle sur le Kanto et de réduire la puissance des gouverneurs militaires. Mais, il est assassiné par l'un de ses vassaux, évènement dont ne se relèvera jamais vraiment cette dynastie shogunale . Malgré une époque troublée, parmi une bourgeoisie urbaine en développement se signale, spécialement dans le centre du Japon, le groupe des prêteurs d'argent. Outre ces profiteurs d'une première économie monétaire japonaise à base de pièces chinoises, les fabricants de saké (alcool de riz) prospèrent également. Tous sont d'ailleurs vite taxés par un shogunat toujours plus avide de rentrées fiscales. Certains agriculteurs se convertissent à des métiers liés au transport, comme les loueurs de chevaux de Sakamoto, près du mont Hiei et de Kyoto. D'autres s'enrichissent en devenant marchands, voire armateurs. En revanche, dans les campagnes, les paysans s'appauvrissent et sont de plus en plus ponctuellement menacés par la famine. À partir de 1428 et tout au long du XVe siècle, les jacqueries se multiplient, dans les régions périphériques mais aussi aux portes de Kyoto. On voit ainsi des petits guerriers (ji-samourai) endettés s'unir aux paysans dans des ligues militaires (ikki) et entreprendre des soulèvements contre les usuriers et les seigneurs féodaux. Les turbulents loueurs de chevaux se joignent souvent à eux. Nombre de ces révoltes, à l'échelle d'une ou plusieurs provinces, exigent par la force et obtiennent de la part du shogun ASHIKAGA en poste des actes d'annulation des dettes (tokusei). Les observateurs de cette époque assistent donc à la défaite des plus puissants par les paysans et les couches les plus miséreuses de la population, qui n'avaient compté pour rien jusque-là dans la société. Il leur semble donc voir advenir un "monde à l'envers", dans lequel "ceux du bas dépassent ceux du haut" (gekokujo).

L'"Époque des pays en guerre" (1467-1573)

Le Jap
on n'en finit pas de connaître des boulversements suite aux défaillances de la lignée shogunale des ASHIKAGA. Ainsi, de 1467 à 1477, une querelle de succession provoque un nouveau conflit, dit de l'ère Onin, qui déchire l'archipel. En 1464, ASHIKAGA Yoshimasa (1435-1490), huitième shogun de Muromachi, sans héritier, adopte son frère cadet Yoshimi, ancien moine bouddhiste choisi pour lui succéder. Mais, un fils, Yoshihisa, lui naît alors de son épouse Tomiko, qui veut en faire l'héritier de son père. Deux camps se forment pour soutenir les deux prétendants, menés par deux clans pourtant apparentés, les HOSOKAWA et les YAMANA. Leur opposition devait se perpétuer, même après la mort des dirigeants des deux parties et que Yoshihisa soit reconnu comme shogun.

Cette guerre de l'ère Onin ravage une nouvelle fois Kyoto et, sur le plan tactique, confirme l'importance grandissante des ashigaru. Ces fantassins légèrement armés, qui sont recrutés parmi la paysannerie, quand le besoin s'en fait sentir, évincent le samurai-cavalier, ancien roi des batailles. De son côté, Yoshimasa, sur le modèle de son ancêtre Yoshimitsu, se retire dans sa tour d'ivoire, indifférent aux vicissitudes de son temps. Il s'enferme dans son Pavillon d'argent (Ginkaku-ji) à Higashiyama (Kyoto), où s'épanouit une culture du même nom. Il s'y adonne à sa passion pour les arts, la cérémonie du thé ou le Nô. On y élabore un style architectural à l'origine de la maison japonaise traditionnelle d'aujourd'hui. Pourtant, à partir de1467, les guerres civiles vont en fait se prolonger pendant un peu plus de cent ans, une période nommée l'"Époque des pays en guerre" (Sengoku Jidai), référence historique à la Chine divisée des "Royaumes combattants" (481-221 av. J.-C.).

Les daimyo, devenus des seigneurs féodaux quasiment indépendants et chacun maître d'un fief équivalent à environ deux ou trois départements français, s'affrontent les uns les autres. Le shogunat se révèle incapable d'arbitrer leurs rivalités. Après les shugo-daymo, apparaît au tournant du XVe siècle une nouvelle génération de sengoku-daimyo. Suite à la confusion de la guerre de l'ère Onin, le gekokujo joue pleinement. Certains des anciens gouverneurs militaires restent en place. Mais ces personnages de haut rang sont aussi fréquemment remplacés par des vassaux devenant de grands seigneurs à leur place ; voire par des hommes neufs, de simples aventuriers non issus de lignées prestigieuses. Ces sengoku-daimyo légifèrent en toute autonomie sur leurs terres, font établir des cadastres pour maximiser les collectes fiscales, creuser des mines et battent monnaie. Malgré les conflits incessants et les déprédations de la soldatesque, la population urbaine commence à s'accroître significativement. La ville de Sakai (sud de l'actuelle Osaka) connaît un essor particulier à la fin du XVe siècle grâce au négoce avec la Chine. Des voyageurs européens bientôt en visite au Japon la compareront à Venise. La même prospérité se rencontre dans un autre port comme Hakata (nord de Kyushu). Les commerçants et les artisans font partie des gens qui s'enrichissent durant cette période et les daimyo les incitent à venir habiter autour des châteaux qu'ils commencent à se faire construire. Ces "villes nées d'un château" (joka machi), capitales de fiefs de daimyo, vont former les noyaux de nouveaux centres urbains comme, par exemple, Nagoya ou Hiroshima. Toutefois, les émeutes de révoltés ruraux continuent dans les campagnes, en partie menées par des groupements formés sur une base religieuse. Ces ikko ikki sont des ligues chapeautées par la secte Jodo shin-shu et son guide spirituel du moment RENNYO (1415-1499). Elles défont même les troupes des daimyo sur les champs de bataille et gouvernent des provinces entières, devenant notamment un potentat avec lequel il faut compter dans le centre du Japon. En 1453, intervient également un évènement lourd de conséquences pour la suite de l'histoire du Japon : un navire avec à son bord des Chinois et des Portugais rejoint l'île de Tanegashima (sud de Kyushu). Des mousquets à mèche, armes inconnues dans l'archipel, y sont ainsi introduits et immédiatement copiés par les forgerons locaux. En 1549, le jésuite espagnol François XAVIER (1506-1552) aborde à son tour à Kagoshima (sud de Kyushu) et commence à convertir des Japonais au christianisme, y compris des daimyo.

Dans le même temps, la décadence de la dynastie shogunale des ASHIKAGA se poursuit, faite de dérobades, voire de fuites face aux oppositions multiples et de morts violentes. Son dernier représentant, Yoshiaki (1537-1597), tombe sous la coupe du daimyo ODA Nobunaga (1534-1582), qui le met en place, puis l'exile de Kyoto.
Ainsi prend fin le bakufu de Muromachi (1573).