Azuchi-Momoyama jidai
les 3 unificateurs du japon
ODA Nobunaga (1534-1582)
Après une longue période de guerres civiles (Sengoku Jidai) et la fin du
shogunat des ASHIKAGA (1573), l'archipel nippon est réunifié sous la férule de
trois dictateurs militaires. Alliés entre eux, ils vont réduire la résistance
des autres grands seigneurs féodaux (daimyo) et détenir entre leurs
mains, à tour de rôle, les destinées du Japon. La période correspondant au faîte
de leur puissance (1573-1616) est appelée "époque d'Azuchi-Momoyama" d'après les
noms de célèbres châteaux des deux premiers d'entre eux.
Au départ, ODA Nobunaga devient l'un des quelque trente daimyo qui se
partagent le contrôle de l'archipel nippon dans les années 1550-1560. Mais, à
partir de 1568, il se hisse à une position dominante et s'approprie tous les
pouvoirs. Il s'empare de Kyoto et s'impose comme le "protecteur" de l'empereur
du moment, OGIMACHI, et du dernier shogun ASHIKAGA, ensuite exilé par lui
(1573). Il continue néanmoins à combattre jusqu'à ses derniers jours pour
assurer sa suprématie sur les régions centrales du Japon. Ses succès acquis par
les armes sont couronnés par son accession au poste de shogun, accordée par une
cour impériale moribonde mais qui conserve le prestige d'attribuer des titres
(1582).
Cependant, avant d'en arriver là, le jeune Nobunaga doit surmonter de sérieux
handicaps. Toute sa vie, il fera figure de parvenu, car non issu d'une lignée de
guerriers prestigieux, mais fils d'un vassal aux origines obscures du clan SHIBA,
ODA Nobuhide (1510-1551). Ce dernier s'est cependant rendu maître du château de
Nagoya et constitué un fief dans la riche province agricole d'Owari. Mais, pour
recueillir son héritage, Nobunaga doit écarter ou éliminer la plupart des autres
membres de sa famille.
Une étape décisive est ensuite franchie quand Nobunaga défait et tue son rival à
l'est de ses terres, le daimyo IMAGAWA Yoshimoto, seigneur de Totomi, à la
bataille d'Okehazama (1560). À la tête de provinces proches du centre du Japon,
il se met à rêver d'un destin national et d'une progression militaire vers
Kyoto, afin d'y devenir le nouvel homme fort du Japon et de le réunifier sous sa
bannière. Outre cet atout géographique, il va faire avancer son projet par un
habile mélange de recours à la guerre, à la diplomatie et aux alliances
matrimoniales. Ainsi, il parvient à s'entendre avec le jeune daimyo MATSUDAIRA
Motoyasu (futur TOKUGAWA Ieyasu), pourtant à l'origine allié de ses ennemis les
IMAGAWA.
Le sort des armes favorise décidément Nobunaga puisque, se rapprochant de la
capitale, il s'empare de la province de Mino, puis fonde le château et la ville
de Gifu (1567). Même si ses conquêtes et le nombre de ses vassaux augmentent, il
s'appuie en priorité sur ses très proches parents, comme l'un de ses frères ou
son fils aîné, ou un groupe d'hommes lui devant tout, comme KINOSHITA Tokichiro
(le futur TOYOTOMI Hideyoshi).
Devenu un acteur politique incontournable dans le centre du Japon, Nobunaga
prend le contrôle de Kyoto (1568). Après avoir mis au pas l'empereur et le
shogun ASHIKAGA Yoshiaki, il réduit avec brutalité l'autonomie acquise par les
moines soldats de la secte Tendai du mont Hiei (1571) ou les ligues de ruraux
révoltés ikko ikki de la secte Jodo shin-shu.
En outre, Nobunaga défait successivement tous les daimyo qui tentent de
lui résister, même si, un temps, TAKEDA Shingen (1521-1573), illustre chef de
guerre maître de la province de Kai, semble devoir lui tenir tête. Mais, après
la mort de celui-ci, son héritier, allié aux ikko ikki, est battu à Nagashino
(1575) par Nobunaga, TOYOTOMI Hideyoshi et TOKUGAWA Ieyasu. Cette bataille
marque un tournant dans l'art de la guerre et une rupture avec l'esprit de
chevalerie tels qu'ils sont pratiqués jusque-là au Japon.
Car, sur le plan stratégique, le pragmatique Nobunaga est le premier à saisir
l'importance de l'utilisation des mousquets à mèche et des fantassins légers (ashigaru),
face à la cavalerie lourde que ses adversaires prennent encore pour la reine des
batailles. Aussi, il s'emploie à faire copier les arquebuses venues d'Occident,
quitte à faire les yeux doux aux "Barbares du Sud" (Namban), Portugais et
Espagnols, afin de s'en procurer. Ainsi, à Nagashino, un corps de 3 000
arquebusiers (teppo ashigaru) constitué par Nobunaga joue un rôle crucial au
cours de l'affrontement. Alignés sur trois rangs derrière une palissade, ils
déciment de leur feu nourri la charge de la fière cavalerie des TAKEDA.
En 1576, Nobunaga se
fait construire une somptueuse résidence, une forteresse avec donjon, à Azuchi
(province d'Omi), qui deviendra le modèle de ce genre de château édifié par la
suite au Japon. Il prend également des mesures concrètes pour raffermir sa
dictature militaire. Pour mettre un terme à la confusion entre les classes
sociales qui s'était établie durant le Sengoku Jidai, il sépare strictement les
militaires des paysans, désarmés par une "chasse aux sabres" (katanagari).
L'établissement d'un cadastre à l'échelle de toutes les provinces sous sa
domination est aussi décidé afin de servir de base à la perception des impôts.
Néanmoins, Nobunaga doit encore combattre les ikko ikki et leur
temple-forteresse, le Hongan-ji d'Ishiyama, se trouvant sur le site de la future
Osaka (1580). Il doit aussi en finir avec les TAKEDA et une coalition de daimyo
de l'ouest du Japon s'opposant à lui. Après avoir été nommé shogun, Nobunaga, en
visite à Kyoto, est attaqué dans le Honno-ji. Ce temple est encerclé et incendié
par l'un des propres généraux, AKECHI Mitsuhide, qui le rend responsable de la
mort de sa mère. Le premier unificateur s'y suicide en compagnie de son fils
aîné (1582).
TOYOTOMI Hideyoshi (1536-1598)
ODA Nobunaga est promptement vengé par un autre de ses généraux, TOYOTOMI
Hideyoshi, qui dirige les troupes combattant les daimyo de l'Ouest.
Hideyoshi défait AKECHI Mitsuhide à la bataille de Yamazaki (1582). Il fait
alors donner le titre de shogun à un fils cadet de Nobunaga,mais va tout de
suite concentrer sur sa personne les rênes du pouvoir et devenir le deuxième
unificateur du Japon.
Celui
qui finit par s'appeler TOYOTOMI Hideyoshi a d'abord porté divers noms et
s'est inventé, la gloire venant grâce au métier des armes, un pedigree
prestigieux pour masquer sa très humble origine. Il est le fils d'un paysan
d'Owari, en temps de guerre fantassin léger des ODA. Après s'être essayé à
différents apprentissages auprès d'artisans, il opte pour une carrière
militaire. Il se place d'abord sous les ordres d'un vassal des IMAGAWA, ennemis
des ODA, avant de finalement rallier le camp de Nobunaga (1558).
Malgré son physique particulier, qui le fait surnommer "le singe" (saru) par
Nobunaga, Hideyoshi sait faire valoir ses nombreuses qualités au service de son
nouveau maître, y compris un sens consommé de l'intrigue. Désormais, il est de
toutes les guerres menées par Nobunaga et reçoit en récompense divers fiefs et
châteaux, dont celui d'Himeji, dans l'ouest de Honshu.
Après la mort de Nobunaga et après avoir neutralisé ou éliminé d'autres
prétendants possibles, Hideyoshi recueille son héritage. Il fortifie sa position
dominante sur les provinces centrales et poursuit l'unification du Japon. Suite
aux batailles sans grand résultat de Komaki et de Nagakute, il fait la paix avec
TOKUGAWA Ieyasu, évitant que ce dernier ne devienne son plus puissant opposant
(1584). Dans le même temps, sur les ruines du temple-forteresse des ikko ikki,
il fonde le château et la ville d'Osaka.
Maître du Japon dans les faits, sa très modeste origine lui interdit d'être
nommé shogun. Il fait alors "exhumer" pour lui le titre, remontant à la période
de Heian, de kampaku ("régent de majorité" de l'empereur) et se fait adopter
(1585) par la famille FUJIWARA, à laquelle il est réservé depuis lors.
Dans les années qui suivent, Hideyoshi s'applique à "pacifier" définitivement
l'archipel nippon, en soumettant les daimyo qui lui résistent encore à Kyushu, à
Shikoku et dans le nord de Honshu. Il fait détruire leurs châteaux et s'attribue
leurs terres ou les répartit entre ses partisans. Les daimyo sont hiérarchisés
par un classement qui évalue en koku (180 litres) la récolte annuelle de riz
dans leurs domaines. Ils sont assujettis à Hideyoshi par un système qui les
obligent à venir lui rendre ponctuellement visite et à laisser leur famille en
otage à Kyoto.
Hideyoshi
s'y est d'ailleurs fait construire les châteaux du Jurakutei, puis de Momoyama,
où il joue les mécènes et s'adonne au plaisir de cultiver les arts, comme
certains des ASHIKAGA, sous le shogunat de Muromachi. Il peut se le permettre
pour être devenu l'homme le plus riche du Japon. À la suite de Nobunaga, il a
perfectionné l'établissement de cadastres et la rentrée des recettes fiscales.
En outre, il se montre très attentif au développement de la prospection minière
qui lui permet de battre les premières monnaies japonaises en or, notamment
grâce aux gisements de l'île de Sado (nord-ouest de Honshu). Ainsi, il préfigure
l'industrie du Japon moderne.
Lui, qui a pu s'élever grâce à sa réussite en tant que combattant, enlève aux
autres cette possibilité en achevant de figer la mobilité entre les classes
sociales. De plus, une nouvelle "chasse aux sabres" confisque les armes des
paysans sous le prétexte de construire avec une grande statue de Bouddha.
Hideyoshi se préoccupe également du fructueux commerce avec la Chine, mais
reprend aux Européens le contrôle du port de Nagasaki, concédé par un daimyo
chrétien de Kyushu. Échaudé par les rivalités entre Portugais et Espagnols, il
redoute surtout que l'extension du christianisme au Japon ne préfigure une
tentative de conquête étrangère, et le fait interdire (1587). Il fait même
supplicier 26 religieux chrétiens de Nagasaki pour l'exemple (1597).Afin
d'occuper la classe toujours remuante des guerriers, il organise deux grandes
campagnes de conquête de la Corée (1592 et 1597) qui, au-delà, visent la Chine.
Mais elles se soldent, au final, par une déroute.
Cependant, Hideyoshi a d'autres préoccupations en tête car vient de lui naître
tardivement un fils, TOYOTOMI Hideyori (1592-1615) et il rêve de fonder une
dynastie quand la dysenterie l'emporte brusquement (1598). Il a juste eu le
temps de confier la garde de son cher rejeton à un conseil de régence où domine
la personnalité du puissant TOKUGAWA Ieyasu.
TOKUGAWA Ieyasu (1543-1616)
À l'origine le plus favorisé par la naissance des trois unificateurs, TOKUGAWA
Ieyasu est paradoxalement celui qui doit attendre le plus patiemment son heure.
Il finit néanmoins par capter l'héritage de ses deux prédécesseurs
et,
contrairement à eux, fonder une dynastie shogunale durable.
Fils du daimyo MATSUDAIRA Hirotada (1526-1549), TOKUGAWA Ieyasu naît sous
le nom de MATSUDAIRA Takechiyo, au château d'Okazaki, dans la province de
Mikawa. Très jeune, il est envoyé comme page - en fait otage et garant d'une
alliance - auprès d'IMAGAWA Yoshimoto, ennemi des ODA. En chemin, il est capturé
par ces derniers qui le retiennent un temps prisonnier, puis il regagne le giron
des IMAGAWA. Après la bataille d'Okehazama (1560), celui qui se fait appeler
maintenant MATSUDAIRA Motoyasu se range aux côtés d'ODA Nobunaga, qui a pris le
dessus sur son père et sur son tuteur IMAGAWA.
Dès lors, MATSUDAIRA Motoyasu va collaborer avec Nobunaga dans ses entreprises
guerrières. Depuis son château d'Okazaki et le Mikawa, il étend progressivement
son influence sur 5 provinces. Après la mort de Nobunaga, il combat TOYOTOMI
Hideyoshi dans un premier temps, puis parvient à s'entendre avec lui.
Entre-temps, il a obtenu de la cour impériale, dès 1566, de s'appeler TOKUGAWA
Ieyasu. L'adoption de ce nom, indice de sa très grande ambition, lui permet de
rapprocher son lignage familial de celui des MINAMOTO et des ASHIKAGA. Une
ascendance dont il faut se réclamer pour fonder éventuellement un shogunat comme
ceux de Kamakura et de Muromachi...